CONSTRUCTEUR DE MIROIRS

 

Arsène Welkin, jeune peintre autodidacte de 27 ans, considère la figuration par le biais de la couleur. En puisant son inspiration dans la culture du lieu qu’il habite, en l’occurence Arles où il a en partie grandi, il produit des mythes qu’il développe dans son atelier. Son travail porte directement sur des figures véhiculant les deux états d’attention qui l’animent : l’état de concentration, décisif pour faire advenir un geste vital et créatif, et l’état de contemplation, nécessaire pour appréhender des formes qui le rappellent à un imaginaire. Les tableaux réunis pour cette exposition transmettent ces deux états – de concentration et de contemplation contenus dans les figures peintes ainsi que dans le geste pictural de l’artiste.

 

Cette approche a donné naissance à trois corpus en cours d’évolution dans lesquels il développe différentes techniques : le premier corpus est celui des portraits de toreros, le deuxième des femmes lascives, et enfin celui des natures mortes. Pour comprendre le monde « en soi », l’artiste effectue des croquis préparatoires. Ces recherches sont ensuite développées sur papier au pastel ou sur toile à l’acrylique, selon l’intention et le motif choisi.

 

Les bustes de toreros naissent urgemment sur le papier noir, dessinés et colorés aux pastels gras. En les portraiturant, casqués et vêtus de l’habit de lumière, le regard noir, l’artiste cherche l’endroit du désir auquel le renvoie la figure du torero. Extrait de tout contexte tauromachique, il devient une figure emblématique de la concentration par le regard et de l’émotion par la couleur. En déclinant ainsi ces portraits, l’artiste cerne les différents espaces mentaux de l’homme habillé, prêt à travailler, mais qui se rend disponible à l’observation de ce qui l’habite. Michel Leiris, en rapprochant dans son ouvrage Miroir de la Tauromachie, la figure du torero de celle de l’artiste, nous aide à faire le lien ici entre la détermination de l’homme représenté et l’urgence de l’artiste à créer, tel un «constructeur de miroirs».

 

Sur les toiles, à l’acrylique, les figures lascives de femmes prennent d’abord forme au fusain. Elles sont étendues et posées sur un fond pensé comme un aplat où des motifs de natures mortes se répètent. Si leur posture et leur nudité les renvoie à une inoccupation, elles semblent pourtant bien absorbées mentalement dans un état de contemplation.

 

Les motifs floraux, qui s’incarnent dans des natures mortes d’après modèle, permettent au peintre de développer sa technique, par l’observation des formes et de la lumière, nécessaire pour composer ses futures toiles intuitivement. Ces éléments de nature forment le liant des œuvres dans les séries de portraits masculins et féminins.

 

Par la peinture figurative, Arsène définit son rapport d’intensité au monde. Pour mener à bien ses recherches plastiques et techniques, il opère en série, et s’attache à des motifs récurrents qu’il explore jusqu’à l’épuisement.

 

En débutant ces travaux durant l’été 2020, l’artiste a pu faire évoluer sa technique et préciser l’intention de ses peintures. Tandis que la quête qui l’anime à produire les bustes masculins n’a pas trouvé de fin, la figure de l’Amazone a pris forme récemment. Parée des attributs des deux corpus de portraits, la figure de l’amazone arrive comme une résolution du travail, jusqu’alors binaire. Mêlant aussi bien les formes et les intentions des corpus précédents que les techniques ou les couleurs (violet de mars, rose chair, rouge anglais) employées dans ces dernières, l’artiste découvre ici un nouveau format pour faire coexister ses portraits de femmes nues contemplatives avec ses portraits d’hommes concentrés. Par le biais de cette représentation de l’amazone, combattante, autonome, libre, plaçant à égalité les sexes, l’artiste ré-actualise un mythe grec.

 

Constance Heilmann-Herat, commissaire auteur indépendante à Arles. Avec le soutien de QQES, collectif de commissaires à Arles.